Bronson, de Nicolas Winding Refn (2008)

Publié le par christophe Deschamps

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Au rythme d’un opéra pop

Au commencement, il y a un agacement. Avant de voir le film, c’est toutes les affiches de Bronson placardées aux quatre coins de la ville qui nous regardent et qui nous clament leur slogan : « L’Orange mécanique du 21ème siècle ». L’opération marketing a fonctionné puisque toute une génération de cinéphiles s’est ruée dans les salles de cinéma en espérant retrouver le regard pervers d’Alex. Le rapprochement avec Kubrick, intéressant pour ses connexions formelles, devient pour le coup une complaisante affaire  mercantile. Après la découverte récente du réalisateur danois Refn – la trilogie Pusher que j’avais dévoré comme un glouton presque en une seule nuit – l’évènement du nouveau projet s’avéra l’occasion inattendue d’en savoir un peu plus sur cette promesse. Résultat, surprise générale devant l’exubérant Bronson. Après le sobre Pusher, fidèle peu ou prou au « Dogme 95 » nordique, Refn livre une œuvre radicalement baroque, stylisée et flamboyante comme son contemporain coréen Park Chan-Wook sait les faire.

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L’appréhension du genre – le biopic rimant généralement avec audace carentielle (voir le récent Harvey Milk de Gus Van Sant) – vole, avec plaisir, en éclats.  On ne saura finalement que peu de choses sur la vie tourmenté du prisonnier Michael Peterson, rebaptisé Charles Bronson.  Un biopic fondamentalement bancal qui se replie vers l’abstraction. Refn use jusqu’à l’épuisement de son personnage pénitencier, figure tentaculaire, asséchante, qui pompe toute l’énergie du film. « Je m’appelle Charles Bronson et toute ma vie j’ai voulu être célèbre », confesse inauguralement le personnage, face à la caméra. Sa célébrité, Bronson le doit à sa violence, son carburant vital, qui fera de lui la bête des prisons britanniques. Contre toute attente – d’où les retours déceptifs de certains – la violence de Bronson s’avère étrangement diffuse, évidée de ses effets, désatomisée. Elle est tirée vers l’expérience sensorielle. Lignes géométriques, lumière artificielle, ralentis, ballet des corps.

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Première explosion. Baigné sous une lumière artificiellement sanguine, le héros tourne en rond dans sa cellule, le corps nu, barbouillé de sang et de graisse. Filmé comme un boxeur avant le combat, Bronson est attendu par la caméra, au bout d’un couloir, peinturluré par les mêmes spots. La cage au fauve ouverte, Bronson s’empale sur le groupe de matons et se déchaîne, rythmé par le tube pop des Walker Brothers (voir les images ci-dessous). Première explosion et première valse. La force du film est de toujours ramener la profusion bestiale de Bronson à une pantomime farcesque, le corps balloté par un montage musical. L’ombre de Kubrick rôde quelque part par là, dans cette démesure formelle (regards caméra et voix off, ralentis, musique classique, ambiance kitsch), qui traduit ni plus ni moins, avec une distance critique, l’expression conceptuelle de cette violence. Philippe Royer énonçait très justement dans sa chronique à propos de Bronson l’héritage kubrickien du cinéma en tant qu’ « expérience non-verbale ».

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Pourtant, à en croire l’entretien donné par Refn, Bronson puise son inspiration dans le cinéma expérimental de Kenneth Anger1. Pas si étonnant finalement. Les multiples déguisements outranciers de Bronson reproduisent sur un mode burlesque les rituels sataniques d’Anger. Les variations chromatiques du film propre aux lieux reprennent à bon compte les lois de l’expérience sensorielle : blancheur éclaboussante de l’hôpital psychiatrique, ambiance rouge vermeil pour le bordel de l’oncle ou décor bleu et paillettes pour la boîte de nuit (voir les images ci-dessous).

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Outre la démesure chorale d’Orange mécanique et les références avouées au cinéma d’Anger, Bronson se veut opéra, « opéra pop » s’il vous plaît. Un opéra exubérant, animé par un clown blanc et alimenté par une amplitude musicale surréelle, partagée entre la musique classique (Wagner, Verdi, Puccini) et les tubes pop des Pets Shop Boys et de Glass Candy. L’opéra est roi dans le film de Refn. A commencer par les caractères rouge pourpre du titre qui seront ensuite déclinés sur la moquette florale de la chambre enfant du personnage.  L’apparition répétée de rideaux rouges puis une tentative de meurtre, filmée à travers l’ouverture interstitielle d’un rideau paré de fleurs, évoquent en filigrane le dispositif théâtral qui structure le film (voir les images ci-dessous).

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La vie du prisonnier Bronson c’est d’abord une problématique originale : comment faire pour aller en prison, et surtout, comment faire pour ne pas en sortir ? Refn filme métaphoriquement le nourrisson, les mains agrippées aux barreaux en bois de son berceau-cellule, comme si l’homme était né en prison (voir l’image ci-dessous). « Je n’ai jamais eu l’impression d’être dans une cellule, une cage ou une boîte. Pour moi, c’était une chambre d’hôtel », admet un peu plus tard le personnage. Le berceau inaugural répondra à la boîte exigüe finale enfermant Bronson dans la verticalité de son corps. Tantôt bête de foire des prisons, tantôt histrion grotesque des planches, Bronson, moustachu comme son acteur éponyme, flirte avec une certaine schizophrénie, rimant formellement avec le motif du fondu enchaîné qui mêle confusément la taule et la scène. 

1 « Avec Bronson j'ai essayé de faire un film de Kenneth Anger. J'ai tout volé à Kenneth Anger. Et je lui ai d'ailleurs avoué il n'y a pas longtemps. Bronson est un mélange de Inauguration of the Pleasure Dome et de Scorpio Rising ».

Entretien disponible sur le site www.ecranlarge.com

 

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